LES RÉPUBLICAINS

À L'ASSEMBLÉE NATIONALE

Image

 

Mme la présidente

La parole est à M. Julien Dive.

M. Julien Dive

J’associe Valérie Bazin-Malgras à ma question.Les betteraviers estiment à 200 millions d’euros les pertes de rendement consécutives à l’épidémie de jaunisse qui a décimé des hectares entiers de culture en 2020. Cette année noire semblait appartenir au passé quand, jeudi 19 janvier 2023, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) en a décidé autrement. Elle a en effet jugé illégales les dérogations accordées aux agriculteurs pour utiliser des néonicotinoïdes en enrobage de semences.Quelques semaines avant les semis de la campagne 2023-2024, cette décision assène un véritable coup de massue à la filière betterave-sucre. Les décisions de la CJUE vont à contre-courant de la réalité agronomique à laquelle les producteurs sont confrontés. Depuis des semaines, on entend le ministre de la transition écologique prendre position contre les betteraviers, mais il a fallu cet arrêt brutal pour que nous soyons obligés d’agir dans l’urgence et sortir de cette impasse.Monsieur le ministre de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire, vous proposez un plan d’action pour soutenir la filière, mais il nous faut des engagements concrets et durables. Le plan national de recherche et d’innovation que vous mentionnez demande non seulement de l’argent, mais du temps ; or le temps des 24 000 betteraviers est compté !Vous évoquez dans ce plan d’action un accompagnement financier ; mais les producteurs de pommes de terre féculières se souviennent encore des promesses non tenues. Où comptez-vous chercher les fonds ? Quelles en sont les règles ? Sont-ils ou non plafonnés ? S’accompagnent-ils ou non d’une franchise ? S’inscrivent-ils en dehors des règles européennes  ?Aucun pays membre ne peut déroger à l’interdiction des néonicotinoïdes enrobés sur des graines de betteraves, sauf l’Allemagne, deuxième producteur européen de betteraves à sucre après la France, qui contourne cet arrêté en utilisant des insecticides pulvérisés que vous interdisez en France. Dans l’Union européenne, les mêmes règles doivent s’appliquer à tous !Monsieur le ministre, comptez-vous monter au créneau pour proposer l’instauration des mêmes règles du jeu au sein de l’Union européenne, afin de préserver notre souveraineté agricole et permettre aux agriculteurs français de fournir le sucre, le bioéthanol et le gel hydroalcoolique dont nous avons besoin chaque jour ?


Mme la présidente

La parole est à M. le ministre de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire.

M. Marc Fesneau

Vous connaissez bien le sujet, monsieur Dive, puisque votre circonscription se situe dans un département concerné, et parce que vous y travaillez depuis le vote de la loi en vigueur, qui a permis la dérogation relative à l’enrobage des semences.Comme vous l’avez rappelé, nous avions bien prévu de sortir, au bout de trois ans, de ce régime dérogatoire. La décision de la Cour de justice de l’Union européenne interrompt durement ce processus. En effet, le Gouvernement avait décidé de lancer une troisième année d’expérimentation pour enfin valider les solutions. En effet, celles-ci ne relèvent pas de la magie ; elles sont issues de la recherche, du temps et de l’innovation.Le premier élément de réponse concerne les enrobages et me permet de compléter ma réponse à la question de Lise Magnier : évidemment, la décision de la Cour de justice de l’Union européenne s’appliquera à l’ensemble des pays européens. Nous activerons la clause de sauvegarde, afin d’éviter les distorsions à l’intérieur de l’Union. Deuxièmement, notre engagement vis-à-vis de la filière, consistant à couvrir l’intégralité des pertes provoquées par la jaunisse de la betterave, sera tenu. Nous avons besoin de répondre en urgence aux producteurs, la décision de justice intervenant au moment des plantations. Troisièmement, nous devons poursuivre la recherche tant sur les itinéraires techniques plus classiques et au moyen du PNRI. Vous avez raison, c’est long ; mais nous n’avons pas d’autre choix.Conformément à la loi votée à l’Assemblée nationale et au Sénat, issue d’un compromis avec la filière, la tendance était d’interdire les néonicotinoïdes à l’issue de l’expérimentation . Voilà le travail que nous avons à faire, monsieur le député; je compte sur nous tous pour envoyer à la filière ces messages, concernant le court, le moyen et le long termes. Comme vous l’avez rappelé, cette filière compte beaucoup en matière de souveraineté nationale.


M. le président

Bonsoir, chers collègues. La parole est à Mme Hélène Laporte.

Mme Hélène Laporte

« La souveraineté nationale appartient au peuple qui l’exerce par ses représentants et par la voie du référendum. » Comme vous le savez, c’est sur le fondement de cette règle inscrite au premier alinéa de l’article 3 de la Constitution que l’Assemblée nationale est autorisée à siéger, au nom du peuple français et de lui seul, et partage avec le Sénat la prérogative de voter la loi. Le texte que nous examinons, s’il répond aux conditions formelles d’élaboration de la loi, ne peut être tenu pour une manifestation de la souveraineté nationale. En effet, il s’agit de traduire dans notre droit des dispositions édictées par des instances auxquelles nous avons sciemment abandonné des pans entiers de notre souveraineté.En application de l’article 260 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, la France pourrait être condamnée par la CJUE si notre Parlement ne se conforme pas aux textes européens. En d’autres termes, nous pouvons techniquement rejeter ce projet de loi, mais nous n’en avons pas réellement la liberté. Selon la logique des institutions européennes, notre liberté s’arrête à la question du comment : par quelle adaptation de notre droit mettrons-nous en œuvre ce qui nous est commandé ? Nous ne sommes guère qu’un sas juridique entre Bruxelles et le citoyen, une chambre d’enregistrement de normes conçues par des instances non élues.Si technique que soit le contenu du texte et si consensuels que puissent être certains de ces articles, il me semblait important de rappeler les conditions dans lesquelles nous devons nous prononcer. Elles ne conviennent pas à un parlement représentant un peuple libre, mais plutôt à une instance de ratification opérant sous contrainte. Nous ne faisons qu’exécuter, sous peine d’engager la responsabilité financière de la France, des mesures décidées par des instances supranationales auxquelles nous avons par avance accordé un blanc-seing.Nous voici donc devant un texte dont la seule cohérence d’ensemble consiste à mettre en conformité des portions du droit français avec le droit européen. Il comporte des dispositions économiques et surtout financières, des règles de droit social concernant aussi bien la protection des salariés que la santé publique, des règles relatives aux transports, qu’ils soient routiers, ferroviaires ou maritimes, ou encore des normes agricoles. En contemplant l’inventaire hétéroclite de cette loi fourre-tout, nous pouvons dénombrer les domaines supplémentaires que nous abandonnons à la compétence supranationale de l’Union européenne, tout comme nous lui avons abandonné notre souveraineté en matière de politique agricole, de commerces de biens ou de services, de circulation des personnes, de politique monétaire, d’autorisation des produits pharmaceutiques, d’encadrement du marché énergétique, et j’en passe. Les implications de cette perte de souveraineté sont très concrètes ; nous en avons eu récemment un exemple édifiant lorsque la CJUE a supprimé toute dérogation permettant l’emploi de néonicotinoïdes, décision dont nous pouvons légitimement craindre qu’elle mette à terre le secteur français de la culture betteravière et de l’industrie sucrière.

M. Pierre Cordier

Ce n’est pas grave, nous dira-t-on, nous n’aurons qu’à importer du sucre du Brésil…

Mme Hélène Laporte

Fidèles à nos principes de défense de la souveraineté nationale, nous nous opposerons en particulier aux nombreux articles du texte qui consacrent un dessaisissement du Parlement en habilitant le Gouvernement à procéder par ordonnance pour adapter le droit français aux exigences bruxelloises, ou qui crée au détriment des Français une complexité administrative injustifiée. Inversement, nous jugeons opportun de soutenir l’adoption des articles qui rendent du pouvoir aux assemblées parlementaires, qui effacent la surtransposition de directives antérieures, qui améliorent l’accessibilité des services aux personnes handicapées, qui rendent justice aux salariés prenant des congés familiaux et des congés de solidarité familiale, qui sanctionnent la falsification de médicaments, qui corrigent les erreurs rédactionnelles dommageables de précédents textes, ou qui favorisent la formation de jeunes agriculteurs venant de s’établir.Ainsi défendons-nous une position pragmatique et constructive, notre objectif n’étant pas de faire obstacle à certains aménagements que nous estimons positifs. Cependant, ces quelques dispositions acceptables ne suffisent pas à sauver un texte qui, dans son principe comme dans l’essentiel de son contenu, vise à faire encore un peu plus de la France une province de l’Union européenne régie par une législation qu’elle se condamne à subir – chose que, aujourd’hui comme hier et demain comme aujourd’hui, nous refusons.Vous l’aurez donc deviné, nous voterons contre ce texte.


M. le président

La parole est à Mme Anne Bergantz.

Mme Anne Bergantz

En préambule, je tiens à souligner l’importance de persévérer dans la construction de cet édifice commun qu’est l’Union européenne, et d’œuvrer ensemble à la préservation des droits et acquis forgés au cours des décennies.

 

Mme Anne Bergantz

Ce fut le cas en commission ou encore cet après-midi lors des questions au Gouvernement : nous entendons çà et là une petite musique sur l’incursion présumée de l’Europe dans notre cadre législatif. Rappelons-le, le principe de primauté du droit européen vise à garantir que les citoyens soient uniformément protégés dans tous les territoires de l’Union européenne. En votant la transposition de directives dans notre droit français, comme nous nous apprêtons à le faire, c’est précisément ce à quoi nous nous employons.Car si ce projet de loi agrège un ensemble hétérogène et très technique de dispositions découlant d’une réglementation européenne complexe, leur transposition en droit interne aura des effets des plus concrets sur la vie des Françaises et des Français.L’objectif du texte est clair et nous y adhérons sans difficulté. La transposition des directives doit s’opérer dans des délais impartis, afin de garantir l’effectivité du droit de l’Union européenne, mais également pour limiter le risque d’introduction de recours en manquement contre la France. L’Europe n’est pas qu’une machine technocratique : derrière les transpositions se trouvent nos concitoyens et nos petites et moyennes entreprises qui, encore plus qu’hier, nous exhortent de nous tenir à leurs côtés. C’est ce à quoi tend ce texte.S’agissant de nos entreprises, nous nous réjouissons de l’article 10 du projet de loi, lequel vise à modifier des dispositions du code de commerce, afin de revenir sur des surtranspositions susceptibles de porter préjudice à nos entreprises déjà fragilisées par les crises récentes. Cette correction leur permettra, et c’est heureux, de rester concurrentielles face aux autres entreprises européennes. J’insiste, il s’agit d’une avancée concrète pour nos petites et moyennes entreprises.De la même façon, la transposition seulement partielle des règles européennes en matière de commande publique était de nature à nuire à nos opérateurs économiques. Il est bienvenu que le Sénat ait choisi de préserver l’effet dissuasif des peines d’exclusion des procédures de passation des marchés.En ce qui concerne nos agriculteurs, et particulièrement les plus jeunes d’entre eux, le projet de loi tend à clarifier le cadre juridique des aides à l’installation.Quant à notre épargne, les mesures de simplification contenues dans le texte devraient permettre de faciliter le lancement en France du produit paneuropéen d’épargne retraite individuelle.Je pourrais m’arrêter ici, mais ce serait oublier, comme l’a très justement rappelé notre collègue Servane Hugues en commission, que l’Union européenne ne se cantonne pas aux sujets économiques. Initialement faibles, les piliers sociaux et écologiques de l’UE se sont renforcés au fil des années et sont désormais investis d’ambitions concrètes, dont certaines trouvent leur traduction dans ce projet de loi. Celui-ci comporte en effet de très belles avancées relatives au droit du travail et à l’égalité des droits.Pour 12 millions de nos concitoyens en situation de handicap, l’article 12 vise à renforcer l’accessibilité des équipements informatiques en libre service ou grand public – même si cette mesure dépend moins de l’adoption de cet article que de son application. Instaurée en 2005, cette exigence d’accessibilité s’est en effet malheureusement heurtée à la difficile installation d’équipements informatiques par les opérateurs. Nous devons nous en souvenir et œuvrer conjointement à l’effectivité de leur disponibilité.Nous serons tout aussi vigilants à l’application des mesures prévues à l’article 24, relatif à la sérialisation. Bien que celle-ci soit en bonne voie, nous devons rapidement augmenter le nombre d’officines connectées au répertoire national de vérification des médicaments.Enfin, le projet de loi contient plusieurs dispositifs devant renforcer l’efficience de la coopération entre les services d’aide sociale à l’enfance des États membres de l’Union européenne, devant améliorer l’équilibre entre vie professionnelle et vie privée des parents et des proches aidants, et devant améliorer l’information des salariés du secteur public sur l’exercice de leurs fonctions. Ce sont autant de modifications législatives nécessaires pour renforcer la coopération en matière de responsabilité parentale et de protection de l’enfance.Ainsi, mes chers collègues, malgré la multiplicité et la technicité des dispositions, un seul et même esprit anime ce projet de loi : celui d’une Union européenne plus protectrice, plus proche des citoyens, et défendant un projet global et ambitieux d’approfondissement de la coopération entre les États membres. Voilà pourquoi le groupe Démocrate se prononcera en faveur de ce texte, émettant simplement le souhait que ses articles s’appliqueront dans les délais fixés, afin d’assurer une meilleure égalité et une meilleure sécurité pour tous nos concitoyens français.


Mme la présidente

La parole est à M. Gérard Leseul.

M. Gérard Leseul

Le projet de loi portant diverses dispositions d’adaptation du droit de l’Union européenne dans les domaines de l’économie, de la santé, du travail, des transports et de l’agriculture tend à transposer plusieurs directives et règlements européens dans notre droit interne.Dans le domaine économique et financier, ce texte va dans le bon sens, en ce qu’il viendrait renforcer la protection des consommateurs et des épargnants grâce, notamment, à la portabilité des produits paneuropéens d’épargne retraite individuelle.Cependant, certains éléments posent problème dans la mesure où ils retireraient un pouvoir à la représentation nationale. En effet, par ce texte, le Gouvernement souhaite transférer du pouvoir législatif au pouvoir réglementaire la fixation des seuils relatifs au régime « solvabilité II » des institutions de prévoyance. De plus, il est nous également proposé d’autoriser l’exécutif à légiférer par ordonnance s’agissant des informations contenues dans le rapport de durabilité des entreprises, relatif à leur impact social et environnemental. Sur ces deux questions, plutôt que de nous en remettre à des ordonnances, un débat parlementaire devrait avoir lieu.Quant à la décision de réserver l’obligation de publier des informations extrafinancières aux seules entreprises émettant des assurances vie, il apparaît que c’est la règle la moins-disante qui l’a emporté au sein de l’Union, ce qui exclut de fait les autres compagnies d’assurances.Dans le domaine social, la question de l’accessibilité des services numériques pour les personnes en situation de handicap est absolument fondamentale. Nonobstant l’adoption, en commission, d’un amendement visant à renforcer les sanctions en cas de manquement aux obligations d’accessibilité, notons que les ambitions globales de ce texte ne sont pas encore satisfaisantes.Dans son rapport de février 2022 sur la dématérialisation des services publics, la Défenseure des droits notait que seuls 40 % des 250 démarches en ligne les plus fréquentes étaient accessibles à nos concitoyens en situation de handicap. Dans nos territoires, l’accessibilité aux services publics est également loin d’être optimale, sachant que le tout-numérique a malheureusement renforcé les difficultés de certains de nos concitoyens, à commencer par les personnes en situation de handicap, à accéder à leurs droits. Dans ce domaine, le plan gouvernemental n’est pas assez ambitieux. Il convient d’accélérer la mise en accessibilité de ces services essentiels.Sur le plan sanitaire, le groupe Socialistes et apparentés salue, entre autres, les dispositions visant à mieux encadrer les actes de chirurgie esthétique, afin de mieux protéger les consommateurs et les patients pouvant être influencés par de la publicité déguisée sur les réseaux sociaux.Dans le domaine des transports, nous avons soutenu un amendement adopté en commission visant à autoriser les autorités de contrôle à assurer une vérification de la fiabilité des données et des conseils des différents outils d’aide à la mobilité. Cela devrait permettre d’assurer la sincérité, ainsi que l’absence d’intérêt commercial d’outils tels que Google Maps, Mappy ou Apple Plans que les personnes utilisent pour effectuer un trajet.En ce qui concerne l’accessibilité des transports ferroviaires pour les personnes en situation de handicap, nous saluons bien sûr l’extension du régime actuel aux trains régionaux, qui va dans le bon sens, tout comme nous nous félicitons de l’adoption en commission d’un de nos amendements visant à faciliter l’utilisation des services d’information et de billettique multimodales.Pour ce qui est de la redevance applicable aux poids lourds qui circulent sur les autoroutes concédées, la mesure va dans le bon sens si elle contribue à la conversion du parc à des véhicules moins polluants. Et si cette disposition s’inscrit dans la décarbonation du fret routier, il demeure nécessaire de déployer des moyens importants pour développer le fret fluvial et ferroviaire.Pour améliorer la prévisibilité et la planification du réseau ferré, nous proposons, en lien avec l’Autorité de régulation des transports (ART), d’ajouter au contrat de performance conclu entre l’État et SNCF Réseau une prévision pluriannuelle des investissements. Cette question est fondamentale pour favoriser des choix politiques ambitieux en faveur du développement du transport de voyageurs et de marchandises par le rail, et atteindre nos ambitions en matière de décarbonation des transports.Enfin, dans le domaine agricole, il nous semble important d’utiliser les aides à l’installation des jeunes agriculteurs pour encourager les mutations de ce secteur. Nous proposons également d’élargir les critères d’octroi de ces aides, afin d’encourager les jeunes agriculteurs à s’engager dans l’agroécologie. L’instauration d’une forme de conditionnalité écologique paraît nécessaire pour créer les conditions d’une réduction à long terme de l’usage des différents intrants pouvant être nocifs pour le vivant et la santé.La transposition des directives dans les délais impartis constitue un objectif important non seulement pour assurer l’effectivité du droit de l’Union européenne, mais aussi – nous le savons – pour limiter le risque d’introduction de recours en manquement contre la France. Pour autant, la nécessité, voire l’urgence de légiférer pour adapter le droit interne au droit de l’Union européenne, ne saurait nous conduire, au-delà de certains efforts, à approuver le recours excessif aux ordonnances.Cela étant rappelé, nous ne nous opposerons pas à l’adoption du texte.


Mme la présidente

La parole est à M. Paul Christophe.

M. Paul Christophe

Ce projet de loi vise à transposer en droit interne ou à rendre conforme avec le droit français six directives et six règlements que l’Union européenne a adoptés dans plusieurs domaines ces trois dernières années. Par ailleurs, il tend à à la mise en conformité des dispositions du droit français avec le droit européen, rendue nécessaire par des mises en demeure ou des décisions contentieuses.Portant sur de vastes sujets, il vise, dans les domaines sanitaire et social, à réaffirmer le principe d’accessibilité, pour les personnes en situation de handicap, à certains produits et services en ligne, tels que certains sites internet ou bancaires, les billetteries, les livres numériques ou le e-commerce.À cet égard, l’adoption en commission des affaires sociales de l’amendement du Gouvernement visant à informer le Parlement sur les modalités d’application dans notre droit de ces nouvelles exigences d’accessibilité constitue une réelle avancée. Cet amendement avait été enrichi par le sous-amendement de notre collègue Astrid Panosyan-Bouvet visant à ce que le Gouvernement, dans le cadre de son habilitation à légiférer par ordonnance, renforce effectivement le régime des sanctions prévu par la loi de 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées, s’agissant notamment de l’accessibilité des sites internet. Le groupe Horizons salue cette disposition, qui permettra une meilleure inclusion des personnes en situation de handicap.Pour répondre à une demande importante des départements, le projet de loi doit également permettre aux services d’aide sociale à l’enfance d’être saisis de demandes de coopération entre pays européens en matière de responsabilité parentale.Par ailleurs, il marque une avancée importante pour le droit des travailleurs, en ce qu’il prévoit la transposition de la directive européenne (UE) 2019/1158 du Parlement européen et du Conseil du 20 juin 2019, assurant ainsi une information complète des employés et garantissant l’accès au congé familial pour de nouvelles catégories de salariés. Nous nous réjouissons de cette transposition à venir, laquelle imposera aux États membres de prévoir l’accès à au moins cinq jours ouvrables de congé d’aidant par an.Une fois transposées, les mesures de cette directive assureront un meilleur équilibre entre vie professionnelle et vie privée pour les parents et les proches aidants. Je considère d’ailleurs ces dispositions comme le début d’un droit qu’il nous faudra faire évoluer, notamment parce que, comme le mentionne le rapport de la commission des affaires sociales sur ce texte, les assistants maternels et les assistants familiaux employés par des personnes de droit privé, ainsi que les salariés employés par des particuliers pour réaliser des travaux à caractère familial ou ménager, ne sont éligibles qu’au seul congé de présence parentale. Il faudra donc être attentifs à ce qu’il n’y ait pas de rupture d’égalité entre les travailleurs lors de l’application de cette directive.Par ailleurs, le texte comporte diverses dispositions de santé publique, telles que le renforcement des sanctions encourues par les officines ne respectant pas leur obligation de stérilisation des médicaments, et des transpositions de directives relatives aux médicaments vétérinaires ou aux dispositifs médicaux.Le projet de loi a aussi été enrichi par l’adoption en commission des affaires sociales d’un amendement à l’article 23 visant à rendre plus opérationnel le mécanisme de prévention des ruptures d’approvisionnement en dispositifs médicaux. En effet, la rédaction issue de l’examen du texte par le Sénat a largement repris des dispositions votées lors de la discussion de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2022, mais qui avaient été censurées par le Conseil constitutionnel pour des raisons de procédure.La modification de Mme la rapporteure Laurence Cristol introduit davantage de souplesse dans le texte, puisqu’elle élargit les critères qualifiant les dispositifs médicaux d’indispensables et prend en considération le contexte, sans se limiter aux caractéristiques intrinsèques du produit.Nous sommes également favorables à la disposition introduite par l’amendement de M. le rapporteur pour avis Stéphane Travert en commission des affaires économiques, qui supprime l’exigence – introduite lors de l’examen du texte au Sénat – d’une condition de formation minimale préalable à l’octroi des aides à l’installation des jeunes agriculteurs. La démarche de formation pourra être progressive, au cours de l’installation, ce qui permettra de toucher un public plus varié, et par conséquent d’encourager un plus grand nombre d’installations.Le projet de loi comporte ainsi plusieurs mesures sociales importantes ayant un effet direct sur la vie des Français. Il traduit l’ambition – réaffirmée depuis plusieurs années – de renforcer les compétences européennes en matière sociale, et rappelle le rôle essentiel que joue l’Europe au quotidien dans la protection des citoyens, des patients, des travailleurs et des consommateurs. Les députés du groupe Horizons et apparentés voteront donc en sa faveur.


Mme la présidente

La parole est à Mme Lisa Belluco.

Mme Lisa Belluco

Ce projet de loi de transposition du droit communautaire est très disparate et d’une grande technicité, comme habituellement – cela a été souligné à plusieurs reprises. Il n’en aura pas moins des effets concrets sur la vie des Françaises et des Français. Il ne me paraît donc pas correct de l’examiner dans un délai si court.Le groupe Écologiste-NUPES salue toutefois l’effort de transposition que traduit le texte, d’autant que la France a longtemps compté parmi les mauvais élèves de l’Europe pour ses importantes carences en la matière. Il est vrai que ce retard a été partiellement rattrapé, en particulier à l’occasion de la présidence française de l’Union européenne, mais nous regrettons que l’adaptation de notre législation au droit communautaire demeure assez minimaliste dans le présent texte. La priorité donnée à la décarbonation des transports, par exemple, aurait pu être plus résolue : le projet de loi se contente du service minimum, sans couvrir les évolutions nécessaires – j’y reviendrai.Mon groupe salue également les avancées sociales du projet de loi, parmi lesquelles figurent l’élargissement des exigences d’accessibilité pour les personnes en situation de handicap, un meilleur équilibre entre la vie professionnelle et la vie privée des parents et des proches aidants, et une coopération renforcée entre les pays européens en matière de services d’aide sociale à l’enfance. Ces transpositions restent toutefois limitées : il n’est pas prévu de mesure structurelle pour renforcer l’accompagnement à la parentalité ou l’accès au numérique, pas plus qu’il n’est prévu de stratégie relative à l’accessibilité – le collectif Handicaps en faisait pourtant la demande et regrette de ne pas avoir été associé aux travaux de transposition.Si le projet de loi comprend des avancées intéressantes quant aux congés de paternité et de parentalité, il conviendrait d’aller plus loin en apportant un véritable soutien au congé de parentalité, comme en Espagne où il a été porté à seize semaines, est non transférable et rémunéré à 100 %.En matière de transport, le texte intègre essentiellement la révision de la directive « Eurovignette » – dénomination qui ne correspond plus à la réalité, puisqu’il s’agit non plus d’imposer l’achat de vignettes, mais d’appliquer une taxe kilométrique. Alors que de nombreux pays européens appliquent déjà d’importantes taxes sur les poids lourds – ce qui explique qu’ils aient, bien plus que la France, développé le fret ferroviaire –, nos gouvernements successifs n’ont pas su actionner ce levier pour rééquilibrer la concurrence entre la route et le rail. Le texte affectera pour l’essentiel les péages autoroutiers, exception faite de la future taxe sur les poids lourds alsacienne.En ce qui concerne le réseau autoroutier, le Gouvernement écarte pour l’instant l’option des redevances facultatives, liées notamment à la congestion, ainsi que le surpéage pour financer des infrastructures de transport. Mon groupe proposera des amendements pour y remédier.L’article 26 prévoit deux dispositifs permettant de renforcer le principe du pollueur-payeur pour les poids lourds. Si ces mesures sont bienvenues, il est à nouveau regrettable que le Gouvernement n’aille pas assez loin : la modulation et la majoration ne sont applicables qu’aux seuls péages des contrats de concession à venir, et ne concernent pas les contrats en cours. Le Gouvernement choisit donc de différer l’obligation d’intégrer dans les tarifs des péages les coûts environnementaux liés à la pollution. L’argument avancé, selon lequel il faut se garder de bouleverser l’équilibre économique des contrats, ne constitue pas, à notre sens, une justification suffisante. Si ce report est conforme à la directive, il est regrettable au regard de l’urgence climatique, sachant que la plupart des concessions autoroutières arriveront à échéance après 2030. Nous ne saurions attendre une décennie supplémentaire : il est urgent d’activer le report vers le rail et le transport fluvial pour réduire la part du transport routier de marchandises, comme il est urgent de nous concentrer sur l’intermodalité grâce à des plans associant le vélo et le train – dans ce domaine, le texte prévoit de rattraper notre retard sur la moyenne européenne, dont je rappelle qu’elle est comprise entre six et huit emplacements de vélo par train.Comme d’autres, le groupe Écologiste-NUPES s’opposera à l’article 7. Si nous saluons la volonté d’améliorer la transparence des impôts sur les bénéfices acquittés par les entreprises, nous déplorons que le texte ait laissé primer les intérêts des entreprises : il limite les données à divulguer et rend en partie incohérente cette divulgation pour les sommes dues à l’endroit de pays extérieurs à l’Europe – nos collègues du groupe Les Verts/Alliance libre européenne l’ont révélé.Enfin, nous nous abstiendrons concernant l’habilitation à légiférer par ordonnance demandée par le Gouvernement pour transposer la directive relative à la publication d’informations en matière de durabilité par les entreprises, dite directive CSRD (). Il s’agit en effet d’une étape importante du Pacte vert pour l’Europe, dans le cadre duquel des choix déterminants devront être effectués. Il est essentiel d’assurer la transposition de cette directive par voie législative.Pour ces raisons, le groupe Écologiste-NUPES ne s’opposera pas à l’adoption du présent projet de loi.


Mme la présidente

La parole est à M. André Chassaigne.

M. André Chassaigne

Il y a deux ans, j’ai eu le privilège de rédiger avec Jean-Louis Bourlanges, président de la commission des affaires étrangères, un rapport d’information sur les méthodes de transposition des directives européennes. Nous y rappelions que depuis le début des années 2000, le Parlement avait examiné pas moins de neuf lois portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne. Pour l’exécutif, le principal avantage de ce type de loi réside dans son examen rapide – si rapide qu’il s’apparente, disions-nous dans notre rapport, à un rituel purement formel de clôture du processus législatif. Regrettant ces voitures-balais législatives, nous demandions de réserver ces projets de loi aux seuls cas d’urgence, en veillant à toujours conserver une cohérence thématique au sein des textes concernés.Ces recommandations n’ont visiblement pas été entendues. Vous nous proposez en effet un nouveau fourre-tout législatif, une espèce d’animal appelé Ddadue – allusion, peut-être, au légendaire dahu ou daru. Dense et très technique, ce projet de loi aborde des sujets d’ampleur variable – comme les pattes du dahu –, de la solvabilité des assurances jusqu’aux aides aux agriculteurs, des opérations transfrontalières des sociétés commerciales jusqu’à l’équilibre entre la vie professionnelle et la vie privée des aidants, des règles de publicité pour les centres de chirurgie esthétique jusqu’aux droits à indemnisation des voyageurs ferroviaires – et j’en passe. Une fois encore, le Parlement est cantonné à un rôle de moine copiste, pour reprendre l’expression de l’ancien député Michel Pezet.Nous nous trouvons d’autant plus dépossédés de marge de manœuvre que le texte lui-même renvoie très largement au pouvoir réglementaire, avec sept habilitations à légiférer par ordonnance et la ratification d’une dizaine d’autres. Parmi ces ordonnances, certaines datent de 2015 et attendaient d’être ratifiées depuis sept ans – comme la mule du pape a attendu sept ans de donner un coup de pied ! Ce délai n’est pas respectueux du Parlement, et il met en relief l’abus, désormais institué, du recours à la procédure des ordonnances. Loin de répondre à de quelconques urgences, comme le voudrait une conception rigoureuse de cette procédure, les ordonnances sont devenues un moyen ordinaire, banal, de méconnaître la répartition des compétences normatives entre la loi et le règlement. Nous pourrions juger cet aspect secondaire, si votre projet de loi ne comprenait des dispositions problématiques.Vous pouvez, certes, mettre en avant quelques avancées : les mesures en faveur des personnes en situation de handicap, l’élargissement des congés des proches aidants, ou encore l’obligation d’informer les travailleurs sur les éléments essentiels de la relation de travail. Pas plus que les dispositions relatives à l’indemnité de licenciement des salariés à temps partiel, elles ne suffiront à contrebalancer les mesures de régression sociale que comporte le texte. Je pense au premier chef à celles qui poursuivent la logique de développement des placements financiers de retraite individuelle : cette promotion de la capitalisation intervient alors que votre réforme des retraites profondément régressive poussera toujours plus de personnes, dont les droits diminueront, à souscrire des retraites complémentaires privées. Nous ne saurions évidemment vous suivre dans cette voie.Je pense encore aux mesures qui, comme le soulignait Cathy Apourceau-Poly au Sénat, « caressent les multinationales dans le sens des profits », comme la suppression de l’obligation de publier leurs comptes ou la possibilité laissée aux entreprises sanctionnées pénalement pour des faits graves, de se porter à nouveau candidates à des marchés publics pour peu qu’elles démontrent leur fiabilité.Nous pourrions aussi citer la décentralisation des règles d’attribution des aides à l’installation des jeunes agriculteurs, qui risque d’entraîner une grande disparité territoriale, nuisible à la cohérence de la politique agricole, ou encore l’autorisation de la publicité pour les centres de chirurgie esthétique, qui conforte la dérive vers une marchandisation accrue de la santé au détriment de la protection de la santé des personnes – là encore, j’en passe !Hostiles au principe même de ces lois fourre-tout et de cet animal Ddadue qui marginalisent l’Assemblée pour la transformer en une caricature de chambre d’enregistrement, les députés du groupe Gauche démocrate et républicaine-NUPES ne voteront pas ce texte.


Mme la présidente

La parole est à M. Michel Castellani.

M. Michel Castellani

Je commencerai par une remarque de forme : le Gouvernement a pris l’habitude de demander au Parlement de légiférer par ordonnance, ce qui est, répétons-le, une façon de déposséder la représentation nationale de sa compétence. Ce constat est particulièrement criant lors de l’examen de projets de loi de transposition et de mise en conformité au droit de l’Union européenne, puisque 10 % de l’ensemble des habilitations portent sur une transposition du droit européen. Un tel fonctionnement institutionnel est souvent justifié par la prétendue lenteur de la navette parlementaire. Pourtant, 10 % des habilitations n’aboutissent à aucune ordonnance, et plus d’un tiers des ordonnances ne sont pas ratifiées par le Parlement. Enfin – sourions –, certaines ordonnances ont été prises sur le fondement de textes européens validés deux législatures plus tôt… Aussi l’amendement déposé en commission des affaires sociales, qui rédige la transposition plutôt que d’accorder une habilitation à légiférer par ordonnance, va-t-il dans le bon sens. Nous invitons le Gouvernement à faire plus d’effort dans ce domaine.J’en viens au fond. Certaines transpositions confortent le droit en vigueur. Nous nous réjouissons que le droit européen montre qu’il peut être un vecteur non seulement d’harmonisation entre les États membres, mais aussi d’approfondissement des droits sociaux. Le texte précise ainsi les modalités du congé des proches aidants et renforce l’information des travailleurs ; il approfondit la coopération européenne en matière de protection de l’enfance, tout comme les obligations de lutter contre les faux médicaments.Le groupe Libertés, indépendants, outre-mer et territoires, qui défend une véritable décentralisation, se félicite du transfert des aides à l’installation des agriculteurs aux régions qui en feront la demande.En revanche, certaines dispositions ne nous semblent pas positives. Tout d’abord, le produit paneuropéen d’épargne retraite individuelle s’ajoute aux dispositifs qui existent déjà en France : on peut se demander s’il trouvera vraiment son public, comme on peut s’étonner de l’apparition d’un outil dispositif favorisant la retraite par capitalisation juste avant le débat sur la réforme des retraites.Ensuite, le texte ne saisit pas l’occasion de mieux réglementer l’usage de la blockchain. Le régime pilote de l’article 5 permet de larges aménagements du cadre prudentiel opéré par l’AMF. Le Gouvernement justifie ce contrôle minimal en arguant qu’il améliorera l’attractivité de la place boursière de Paris ; il nous semble pourtant difficile de sacrifier les moyens du contrôle prudentiel, car en cas de crise, c’est toute la solidarité nationale qui sera mise à contribution.La mise en conformité avec la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne nous oblige à réduire la portée d’une disposition pourtant pleine de bon sens : l’interdiction, pour les acteurs économiques condamnés pour des délits graves, de se porter candidats à un marché public. Cette adaptation est regrettable ; il nous reste donc à espérer que l’évaluation de ces entreprises sera véritablement contraignante.En matière de lutte contre le réchauffement climatique, le Gouvernement fait pour le moins preuve de minimalisme. Les nouvelles normes de taxation des poids lourds sur certains tronçons d’autoroute ne seront applicables qu’en 2024 et même, pour certaines, en 2030.Cette solution, qui évite au Gouvernement de déstabiliser l’équilibre des contrats de concession, retarde l’instauration d’une fiscalité environnementale plus poussée. On peut également regretter que les dispositifs optionnels de la directive ne soient pas transposés.Voilà les quelques remarques que je voulais faire sur un projet de loi qui couvre des domaines de compétence très disparates et traite de sujets qui ne sont pas négligeables. Un certain nombre de dispositions vont dans le bon sens, aussi le groupe Libertés, indépendants, outre-mer et territoires votera-t-il ce projet de loi.Je souligne toutefois qu’il relève, dans son ensemble, d’une approche très technocratique. Où est le souffle citoyen ? Où est l’impulsion à l’union, à l’adhésion démocratique ? Débattre sur la publicité des salons esthétiques est sans doute utile, mais ce n’est pas ainsi que l’on renforcera la volonté de vivre ensemble, d’affronter ensemble un monde incertain et dangereux.Depuis des décennies, nous bâtissons une Europe technique. Même sur ce plan, il reste à établir une convergence fiscale et sociale, indispensable à un fonctionnement équilibré et juste de la concurrence économique. Il faut également prendre en considération la diversité des cultures, des niveaux de développement, ainsi que la situation particulière des régions périphériques et des milieux insulaires. Ainsi, la Corse – je veux quand même le dire – n’est pas considérée pour ce qu’elle est réellement, ni dans sa dimension économique ni – encore moins – dans sa dimension historique.Nous avons donné un corps à l’Union européenne ; et c’est très bien. Reste à lui donner une âme.


Mme la présidente

La parole est à Mme Servane Hugues.

Mme Servane Hugues

Le projet de loi que nous examinons a vocation à intégrer en droit français plusieurs dispositions du droit de l’Union européenne dans les domaines de l’économie, de la santé, du travail, des transports et de l’agriculture.Cet intitulé et ces dispositions très techniques recouvrent des mesures qui auront des effets sensibles sur la vie des citoyennes et des citoyens européens. L’harmonisation de toutes ces politiques publiques en Europe est au service d’une base commune minimale de protection des citoyens européens.Je salue le travail mené en commission des affaires sociales par la rapporteure Laurence Cristol, lequel a notamment abouti à un encadrement plus strict des produits du tabac à chauffer, particulièrement prisés des jeunes et jusqu’à présent soumis à un régime dérogatoire.Je tiens à souligner la place de choix qu’occupe le handicap, d’autant que ce sujet me tient particulièrement à cœur : ce projet de loi comprend des dispositions pour améliorer l’accessibilité des biens et services aux personnes en situation de handicap et s’inscrit dans le cadre de la stratégie relative aux droits des personnes handicapées pour 2021 à 2030.Les quelques mesures que je viens d’évoquer illustrent parfaitement l’Union européenne à laquelle nous aspirons : un espace commun où règnent la justice sociale, l’écologie, la liberté d’échanger et d’entreprendre. Ces aspirations – nous le savons et nous le regrettons – ne sont partagées ni par l’extrême droite ni par l’extrême gauche.

M. Jean-François Coulomme

Oh…

Mme Servane Hugues

Malgré le retrait précipité de leurs amendements en commission des affaires sociales, les députés du Rassemblement national ont envisagé de faire obstacle à l’enrichissement des droits des travailleurs et au renforcement de la protection de la santé des Français. Au nom de quoi, me demandez-vous ? Au nom de leur obsession pour ce qu’ils nomment « souveraineté » et qui n’est en réalité rien d’autre que le reflet de leur euroscepticisme.Vous n’êtes pas en reste, collègues de La France insoumise, vous qui avez fait de la désobéissance à l’Europe votre fonds de commerce !

Mme Marianne Maximi

Vous aussi !

Mme Servane Hugues

Quant à nous, nous revendiquons fièrement notre appartenance à l’Union européenne. La présidence française du Conseil de l’Union européenne en 2022 a été l’occasion pour notre pays de réaffirmer son engagement pour une Europe plus juste. Ces six mois ont permis d’agir, à l’échelon communautaire, pour lutter contre le réchauffement climatique, réguler les géants du numérique, développer la politique de défense et de sécurité, protéger les consommateurs.Ainsi, ce projet de loi n’en est qu’une illustration, le droit de l’Union européenne garantit la protection de nos droits fondamentaux, tant économiques que sociaux ; il garantit également la sauvegarde de notre environnement et de notre agriculture. Nous sommes fiers d’être citoyens de cette Europe qui incarne le progrès, de cette Europe qui incarne notre avenir.Pour toutes ces raisons, le groupe Renaissance votera le texte.


Mme la présidente

La parole est à M. Julien Dive.

M. Julien Dive

Ce projet de loi, plus technique que politique, a pour objet de transposer des directives et des règlements que l’Union européenne a adoptés au cours des trois dernières années. Il met également en conformité des dispositions du droit national avec le droit de l’Union. Ce texte balaye donc des domaines très larges, sans cohérence d’ensemble : industrie, agriculture, transports, droit bancaire, droit des sociétés, droit du travail, handicap, santé publique, encadrement des cryptomonnaies, etc.

M. Fabrice Brun

Un texte fourre-tout, quoi !

M. Julien Dive

C’est la raison pour laquelle pas moins de quatre commissions en ont été saisies. Du reste, je peine à comprendre pourquoi un tel projet de loi n’a pas été examiné par une commission spéciale comme c’est l’usage.

M. Fabrice Brun

Il a raison !

M. Julien Dive

En préambule, nous déplorons le retard pris par le Gouvernement pour transposer des directives ou pour adapter notre droit à celui de l’Union européenne. Cela le conduit maintenant à demander des habilitations et à exiger du Parlement une première lecture dans des délais extrêmement contraints.Il serait trop long de s’attarder sur chacun des champs de ce projet de loi. Je me concentrerai donc sur quelques articles et sur plusieurs points au sujet desquels il faut être vigilants.Concernant le handicap, l’article 12 vise à autoriser le Gouvernement à prendre par ordonnance les mesures nécessaires à la transposition de la directive du 17 avril 2019 relative aux exigences en matière d’accessibilité applicables aux produits et services. À ce titre, je tiens à rappeler l’avancée majeure qu’a représentée la loi du 11 février 2005 voulue par Jacques Chirac, qui a posé les premiers jalons de cette exigence d’accessibilité.

M. Fabrice Brun

Merci !

M. Julien Dive

Il faut désormais aller plus loin. À cet égard, le recours à cette habilitation va dans le bon sens. Compte tenu des retards rencontrés dans l’application des mesures d’accessibilité physique, nous devrons être attentifs au calendrier de la mise en œuvre de ces nouvelles obligations par les opérateurs économiques. Il faut améliorer rapidement l’accès aux gares, aux stations et aux quais de métro.Les articles 15 et 16 ont pour objet d’adapter le droit du travail à la directive du 20 juin 2019 relative à des conditions de travail transparentes et prévisibles dans l’Union européenne. Cette directive impose aux employeurs d’informer les salariés sur les éléments principaux de la relation de travail en leur transmettant quinze types d’information dans un délai de sept à trente jours.La précision de la directive européenne ne laisse presque aucune marge de manœuvre au législateur pour transposer ses exigences dans le droit national. Elle prévoit que l’employeur remette au salarié un ou plusieurs documents établis par écrit précisant les informations principales relatives à la relation de travail.Attention, il s’agit de démarches supplémentaires imposées aux employeurs, mais je crains qu’elles soient à nouveau complexes et chronophages. Il conviendra donc d’accompagner les entreprises, notamment les très petites entreprises (TPE) et les petites et moyennes entreprises (PME) dans l’application de ces obligations au moyen de l’élaboration de documents types à remettre aux salariés.

M. Fabrice Brun

Vive la technocrature !

M. Julien Dive

Concernant l’agriculture, avant de conclure sur les articles 30 et 31, j’ouvre une parenthèse pour revenir sur la récente décision de la Cour de justice de l’Union européenne à propos des dérogations autorisées sur l’utilisation des néonicotinoïdes pour la culture de la betterave sucrière : 24 000 planteurs sont concernés dans les régions des Hauts-de-France, Centre-Val de Loire, Normandie, Île-de-France et Grand Est. Avec eux, ce sont des milliers d’emplois de l’industrie agroalimentaire qui pourraient être mis en péril dans les prochaines années.

M. Stéphane Travert

Très bien !

M. Julien Dive

Les dispositions, les arrêtés, les décisions de justice prises à l’échelle européenne engagent aussi la responsabilité du Gouvernement pour qu’il n’y ait aucune distorsion de concurrence au sein de l’Union et pour que nous puissions sauver notre souveraineté alimentaire et notre souveraineté industrielle – fin de la parenthèse.

M. Fabrice Brun

Parenthèse utile !

M. Julien Dive

L’article 30 vise à installer des jeunes agriculteurs. Je tiens à saluer le travail des sénateurs Les Républicains qui ont fait adopter une condition minimale de formation pour prétendre aux aides à l’installation. Le renouvellement des générations et l’installation de jeunes exploitants en agriculture sont de véritables enjeux sur lesquels nous aurons à débattre dans quelques mois, lors de l’examen du projet de loi d’orientation et d’avenir agricoles.Confier aux régions la gestion des aides du Feader à l’installation de jeunes agriculteurs était effectivement la bonne mesure à appliquer afin de répondre concrètement à l’avenir agricole de notre nation.L’article 31 prévoit la ratification de huit ordonnances ayant pour principal objet l’adaptation technique du code rural et de la pêche maritime sur divers règlements européens. Les députés Les Républicains déplorent leur examen trop tardif.En effet, nous appelons le Gouvernement à inscrire les projets de loi de ratification à l’ordre du jour dans des délais plus raisonnables pour la lisibilité du débat et par respect des parlementaires. L’examen de certaines dispositions intervient à contretemps. Le véritable débat au sein du Parlement européen a parfois eu lieu depuis plus de dix ans. Nous émettons donc des réserves sur la forme comme sur le fond.Pour terminer, je salue la vigilance des sénateurs qui ont voté des ajustements utiles en évitant le risque de surtransposition ou en rédigeant parfois le périmètre d’habilitation des ordonnances.Il s’agit d’avancées, de garde-fous bienvenus. Malgré nos réserves sur plusieurs articles, voire sur le principe même des ordonnances, les députés Les Républicains voteront donc le projet de loi.

M. Fabrice Brun

Excellent !


Mme la présidente

La parole est à Mme Emmanuelle Ménard.

Mme Emmanuelle Ménard

Fourre-tout et technique – ce sont les qualificatifs qui viennent immédiatement à la lecture de ce projet de loi dont les trente-et-un articles traitent de sujets extrêmement divers : retraite, handicap, responsabilité automobile, impôt sur le revenu des sociétés, adaptation du régime des fusions et scissions transfrontalières, droit au congé de proche aidant, conditions de travail, distribution des denrées alimentaires, taxation environnementale des poids lourds aux péages, agriculture – et j’en passe.Des sujets techniques captés par les mains habiles du Gouvernement qui choisit, une fois encore, de légiférer par voie d’ordonnance – une mauvaise habitude à l’égard de notre représentation nationale. Pour nous faire accepter cette énième mauvaise manière, on nous explique que les navettes parlementaires sont trop longues et qu’elles entraveraient l’application rapide et efficace de certaines mesures indispensables à notre mise en conformité au droit de l’Union européenne. C’est une pirouette amusante quand on sait que certaines ordonnances ont été prises sur le fondement de textes européens validés il y a deux quinquennats.Dès lors, on ne peut que regretter que le Gouvernement, grand et fervent défenseur d’une démocratie renouvelée et participative, ne commence pas par respecter le Parlement en choisissant de rédiger directement les mesures de la dizaine d’ordonnances que l’on nous demande aujourd’hui de ratifier.Je pense par exemple à l’article 4 relatif à l’assurance de la responsabilité civile résultant de la circulation de véhicules automoteurs. Ce sujet aurait pu, ou plutôt aurait dû, ouvrir le débat sur d’autres questions, comme celle de la responsabilité pénale en cas d’accident de la circulation. Ces dernières années, la demande des associations s’est faite de plus en plus pressante pour que les victimes d’accidents de la route et leurs familles soient mieux indemnisées, notamment par la création d’un nouveau délit, celui d’homicide routier. Cela aurait aussi pu être l’occasion de réfléchir à une nouvelle façon de faire de la prévention. En somme, il aurait fallu penser de façon globale, avoir une vision, et même un horizon pour réduire efficacement le nombre d’accidents de la route qui tuent et laissent aux proches un réel sentiment d’impuissance et d’abandon.Je déplore également le manque de temps qui nous est accordé pour amender un tel projet de loi, qui concerne pourtant des sujets cruciaux tels que l’agriculture. L’article 30 transfère en effet à FranceAgriMer la compétence réglementaire nécessaire pour la gestion du Fonds européen agricole de garantie (Feaga) pour certaines filières agricoles, soit environ 420 millions d’euros. Avec cet article, les régions qui le souhaitent pourront devenir les autorités responsables des aides à l’installation des agriculteurs comprises dans la nouvelle PAC, ce qui constitue une forme de décentralisation. Si tel est vraiment le cas, je la salue, même si elle n’est pas sans risque. Le Sénat a en effet déjà souligné une éventuelle perte de lisibilité des aides d’une région à l’autre, le danger, bien réel, d’un accroissement des disparités entre celles-ci, ainsi qu’un manque de transparence qui n’arrangera en rien le monde agricole.Par ailleurs, on peut se demander s’il est pertinent de conditionner ces aides à une formation minimale. C’est une vraie question puisque, comme vous l’avez rappelé, monsieur le rapporteur Stéphane Travert, d’ici à 2030, un agriculteur sur deux sera parti à la retraite : est-il dès lors pertinent de compliquer l’accès à de nouvelles aides ? Rien n’est moins sûr.

M. Stéphane Travert

Justement, la formation est nécessaire.

Mme Emmanuelle Ménard

À l’évidence, quelques mesures constituent néanmoins des avancées, notamment celles qui touchent les salariés des particuliers employeurs, le congé de proche aidant et le congé de solidarité familiale.Quoi qu’il en soit et de façon plus générale, ce projet de loi dit quelque chose de la tendance législative que nous connaissons, marquée par une dynamique de montée en puissance du droit de l’Union européenne par rapport à notre droit national. Le droit venu de Bruxelles s’immisce peu à peu dans tous les aspects de notre vie pour – nous dit-on – harmoniser, faciliter, fluidifier les rapports entre États membres. Une idée séduisante, mais jusqu’à un certain point seulement. J’ai déjà eu l’occasion de le dire à la tribune : si je me sens profondément européenne, je ne crois pas en une Europe faite par des bureaucrates éloignés des réalités de notre pays. C’est malheureusement l’impression que dégage le projet de loi – et ce n’est pas très rassurant.